Événement : Henri Jayer s’invite à la Vente des Hospices de Beaune

En ouverture du week-end de la Vente des Hospices de Beaune (19-20 novembre), 34 flacons d’Henri Jayer seront mis aux enchères dans l’étude du commissaire-priseur Alexandre Landre. Cela montera haut, très haut sous le marteau. Le grand vigneron de Vosne-Romanée aurait eu 100 ans cette année. Il est d’autant plus intéressant de s’interroger sur les raisons de ce mythe viticole. Jacky Rigaux, son spécialiste le plus intime, nous éclaire sur le sujet.

Des bouteilles d’Henri Jayer des millésimes 1959 à 1995, dont certaines sont encore dans leur carton d’origine, seront au cœur de cette vente exceptionnelle à Beaune. © Jean-Luc Petit

Attention, une vente peut en cacher une autre. Vendredi 18 novembre à 18h30, en amont de la 162e Vente des vins des Hospices de Beaune, les anciens locaux de la Banque de France locale transformés en étude et lieu d’exposition par le commissaire-priseur Alexandre Landre, accueilleront une vente aux enchères avec des lots exceptionnels : 34 bouteilles du mythique vigneron Henri Jayer, réparties dans une vingtaine de lots.

L’information fera mouche au sein de la communauté des grands collectionneurs, nombreux à Beaune à ce moment-là. Parmi les vins proposés (voir encadré ci-dessous), un Richebourg 1959, un Vosne-Romanée « Cros Parantoux » 1995, 11 bouteilles de Vosne-Romanée 1er cru Les Brulées 1977 dans leur carton d’origine, des Grands-Échezeaux de différents millésimes. Bref, du lourd, du très lourd, qui donnera une poussée de fièvre dépensière aux amateurs éclairés et argentés.

Le Monsieur Jourdain du « bio »

Mais là n’est pas le propos. Dans un contexte de dérive foncière, où les opérations les plus spectaculaires défraient la chronique people (voir dernièrement le rapprochement entre le groupe Henriot et François Pinault), le cas d’Henri Jayer mérite un éclairage. Jacky Rigaux sera présent juste avant cette vente pour dédicacer ses ouvrages. Il est incontestablement le spécialiste le plus intime du grand vigneron de Vosne-Romanée, qui ne se pose pas en expert de la valeur des bouteilles (ce genre de mission étant confiée à d’autres), mais en garant de « la morale des bonnes pratiques » incarnées par celui qui joue régulièrement des coudes dans le top 10 mondial des ventes les plus spectaculaires.

Henri Jayer aurait eu 100 ans cette année. « Avec d’autres, comme Michel Gaunoux à Pommard ou Michel Lafarge à Volnay, il a été le gardien du temple à une époque où la viticulture s’est laissé aller à l’intervention œnologique en cave », rappelle sommairement Jacky Rigaux. Le vigneron, sous ses airs de Bourguignon à l’accent rocailleux, était en phase avec un esprit post-soixante-huitard propre à titiller avant l’heure la conscience verte d’un monde en proie aux sirènes chimiques. « Il était le premier bio sans le savoir, comme Jourdain faisait de la prose sans le savoir. »

La comparaison a du sens. L’artiste du vin ne se contentait pas d’une relation amoureuse et respectueuse avec le terroir. Il a introduit une nouvelle œnologie qui fait autorité aujourd’hui. « Il prenait le temps de déclencher un maximum d’éléments avec les fermentations, il était le premier à les faire durer avec une chaptalisation fragmentée. Il savait faire trainer les choses, conscient avant tous les autres de l’importance des macérations pré-fermentaires à froid ».

Dans la cuverie bénie de Vosne-Romanée, les vinifications pouvaient durer trois semaines. Elles « faisaient parler le message du lieu ». Henri Jayer donnait du temps au temps. Il avait aussi le génie de l’élevage. « En utilisant très tôt le 100% fût neuf, il a même contribué à sauver la tonnellerie », s’amuse Jacky Rigaux. Le vigneron, dans sa grande sagesse, « a largement contribué au retour des bonnes pratiques viticoles en cuverie ».

Spécialiste le plus intime d’Henri Jayer, Jacky Rigaux sera présent à la marge de la vente pour dédicacer ses ouvrages et échanger autour de la mémoire du vigneron de Vosne-Romanée. © Jean-Luc Petit

Le miracle du Cros Parantoux

« S’intéresser à Jayer, c’est ringard », se permettait-on pourtant de dire régulièrement à un Jacky Rigaux persistant, littéralement envouté par la sincérité et le génie d’Henri Jayer. Il n’était pas le seul, mais pour d’autres raisons. Les Américains et les Japonais ont tout fait, par le biais d’importateurs inspirés, pour avoir l’exclusivité de ces flacons extraordinaires alors sortis de nulle part et qui incarnaient à l’évidence un avenir plus radieux pour la Bourgogne. Heureusement, Henri Jayer ne voulait pas mettre tous ses flacons dans le même bénaton commercial. Il a partagé ses ventes.

Tel est le paradoxe bourguignon : alors que le discours de l’écologiste René Dumont danse dans certains esprits éveillés sur la question de l’environnement, alors que certaines personnalités fortes comme la vigneronne Anne-Claude Leflaive ou les chercheurs Claude et Lydia Bourguignon s’intéressent de près à la démarche du grand et sage faiseur qu’est Henri Jayer, ses bouteilles commencent à flamber sur le marché. Critiques, restaurateurs et sommeliers ne jurent que par lui. Ils sacralisent son Cros-Parantoux « haut-lieu abandonné par les aînés » et ressuscité par le vigneron de Vosne-Romanée.

D’un naturel taquin, Henri Jayer faisait goûter son premier cru prestigieux après le grand cru Richebourg, fixant de fait une hiérarchie qui échappe aux considérations de l’Inao. Sur le marché des collectionneurs, au vu des enchères, cet avis est suivi, même si ces deux grandes bouteilles se tirent la bourre au contact de la Romanée-Conti et, un peu plus rarement, de très grands bordeaux.

Les 34 bouteilles qui seront vendues le 18 novembre le seront donc au prix qu’on voudra leur accorder. Cela fera de toute façon les gros titres de la presse, et pas seulement la presse spécialisée. Mais cette aura, Henri Jayer l’a gagnée pour avoir été lui-même sans concession avec les appels du marché. Ce que Jacky Rigaux prend le risque de définir comme étant « la victoire de la culture esthétique latine contre la culture commerçante anglo-saxonne ». Mais ceci est un autre débat à ouvrir… autour d’une bonne et grande bouteille.

Voir aussi le documentaire de référence sur Henri Jayer, un film de Laurent Maillefer produit par Lotel du Vin.


NB : le samedi 19 novembre à 14h, il sera aussi procédé à une vente exceptionnelle de « collection d’argenterie de Monsieur Jean Berger ». Un autre événement qui ne manquera pas de faire son bruit dans la communauté beaunoise.

Les vins d’Henri Jayer mis aux enchères à Beaune
– 3 bouteilles d’Échezeaux 1976 (niveau : 3 cm)
– 2 bouteilles d’Échezeaux 1973 (niveau : 4 cm)
– 1 bouteille d’Échezeaux 1973 (niveau : 6 cm)
– 1 bouteille d’Échezeaux 1978 (niveau : 2,5 cm)
– 1 bouteille d’Échezeaux 1990
– 1 bouteille d’Échezeaux 1976 (niveau : 4,5 cm)
– 1 bouteille de Richebourg 1959 (niveau : 3,7 cm)
– 1 bouteille de Richebourg 1959 (niveau : 3,7 cm)
– 1 bouteille de Richebourg 1973 (niveau : 5 cm)
– 1 bouteille d’Échezeaux 1976 (niveau : 4,7 cm)
– 1 bouteille de Richebourg 1976 (niveau : 4,5 cm)
– 1 bouteille de Vosne-Romanée 1978 1er cru « Les Brulées »
– 11 bouteilles de Vosne-Romanée 1977 1er cru « Les Brulées » (dans leur carton d’origine)
– 1 bouteille de Vosne-Romanée 1995  1er cru « Cros-Parantoux »
– 1 bouteille de Vosne-Romanée 1990 1er cru « Les Beaumonts »
– 1 bouteille de Vosne-Romanée 1990
– 3 bouteilles de Nuits-Saint-Georges 1976 1er cru « Les Meurgers »
– 1 bouteille de Nuits-Saint-Georges 1978 1er cru « Les Meurgers » (niveau : 2,5 cm)
– 1 bouteille de Nuits-Saint-Georges 1978 1er cru « Les Meurgers » (niveau : 3 cm)